« J’ai lu avec plaisir l’article

[LIEN 71] que vous avez signé au nom de Sylvain et vous envoie notre perception de sa vie.

J’espère qu’elle pourra aider tous les parents dans leurs difficultés à gérer les moments de la vie de leur enfant PCU. »

Belgique, Mars 2014 

 

LES 20 PREMIERS MOIS

Le 8 juillet 1963, Sylvain vient égayer notre jeune foyer. Il fait la joie de toute une très grande famille : quatre grands-parents, vingt-six oncles et tantes. La maman provient d’une famille de quatorze enfants ; le papa, de sept. Il est mignon, le petit Sylvain. Il pèse 2,850 kg et il a de belles boucles blondes et de merveilleux yeux bleus.

11 septembre 1963, Sylvain doit partir d’urgence en clinique. Les médecins diagnostiquent une méningite… Sylvain reste dans le coma durant 4 longs jours. Sa maman l’accompagne en clinique pendant une longue quinzaine sans le quitter.

Sylvain et sa maman rentrent à la maison le 25 septembre. Tout semble aller au mieux mais il faut contrôler si la méningite est bien vaincue et toutes les deux semaines, il faut se rendre chez le pédiatre qui effectue une ponction lombaire. Tout va très bien. Sylvain mange bien, il est même gourmand.

Mais, bientôt, Sylvain commence un eczéma tenace. Le pédiatre conseille de voir un dermatologue qui prescrit des pommades : une pour le visage, une pour les membres, une pour le corps. Sylvain souffre de démangeaisons. Sa maman se lève plusieurs fois la nuit pour le laver avec de l’eau de camomille. Le dermatologue change plusieurs fois les pommades… Rien n’y fait.

De plus, Sylvain donne à ses parents l’impression qu’il ne s’éveille pas… Il est très gentil. Il reste attaché dans sa chaise pour éviter la chute. Il ne pleure pas. Son hochet, ses jouets ne l’intéressent pas, il les laisse tomber. Sylvain n’appuie pas sur ses pieds. Il les soulève dès que sa plante des pieds touche une surface quelconque. Une personne étrangère peut le prendre dans ses bras, il ne réagit pas… On ne peut le confier à personne. Par deux fois, lors de l’absence des parents, Sylvain s’est fait mal et il a fallu passer des radios de la tête car l’hématome frontal était très impressionnant…

Sa maman fait remarquer à l’infirmière visiteuse que Sylvain porte sur lui une odeur particulière. On lui dit qu’elle fait erreur, que ce sont des idées…

Un jour que Sylvain développait une réaction cutanée au front, le médecin traitant diagnostique un début de furonculose et prescrit de la Ledermycine. Deux ou trois jours plus tard, c’est la visite chez le dermatologue qui, suivant le rituel habituel, nous dit : “enlevez lui ses vêtements“. Un petit coup d’œil : “ça va, vous pouvez le rhabiller.” tout en commençant à rédiger la prescription médicamenteuse. Réaction des parents : “mais, Docteur, qu’est-ce que Sylvain a au front ?” – Ce n’est rien, c’est son eczéma. – C’est bizarre, un médecin nous a dit que c’était de la furonculose. – Je ne crois pas…” et, joignant le geste à la parole, le médecin change sa prescription et y inscrit… Ledermycine.

Sylvain souffre aussi d’asthme. C’est alors la visite chez une pneumologue qui, par de petites piqûres, découvre qu’il est allergique à la poussière des maisons et à l’odeur des vaches… Les grands-parents maternels sont fermiers. Que de précautions ne faudra-t-il pas prendre pour éviter la crise d’asthme ! La pneumologue lui inoculera un vaccin qui sera très efficace sans toutefois obtenir une complète guérison…

LA DECOUVERTE DE LA PHENYLCETONURIE ET LE REGIME

Lors d’une Xème visite bihebdomadaire chez le pédiatre, à la fin de l’auscultation, le médecin confie aux parents que Sylvain a fait une méningite, qu’il ne faut pas espérer des miracles…

Heureusement, à ce moment, Sylvain fait pipi sur les mains du médecin qui renifle, prend le drap mouillé, le tord, recueille quelques gouttes d’urine dans une éprouvette… et sort précipitamment. Quelques minutes plus tard, le pédiatre revient et nous dit : ‘”j’ai trouvé !

Grâce aux tigettes, la phénylcétonurie de Sylvain était évidente… L’odeur que sa maman percevait était réelle… Mais, comme le médecin lui a fait remarquer, la maman lavait son enfant trop bien et en plus, le couvrait d’un parfum qui cachait l’odeur d’anis…

Pour soigner Sylvain, il faut entrer plusieurs fois en clinique… Sylvain a 21 mois. Son taux de phénylalanine est de 360 ! On lui applique un régime drastique : une poudre infecte, le Cymogran, délayée dans de l’eau, à prendre 6 fois par jour… Cette poudre, même les adultes ont des difficultés à l’avaler et son goût reste dans la gorge de très longues minutes…

Sylvain qui a dégusté de très bonnes choses avant cette infâme mixture, refuse d’ouvrir la bouche. Il se laisserait se déshydrater. Il faut lui donner une petite tape sur les fesses pour qu’il pleure, il ouvre alors la bouche et ses parents parviennent à y glisser le précieux aliment. Lorsque Sylvain doit manger, on prévient les personnes présentes qui s’en vont le temps du repas…

Après six mois de ce traitement, nous sommes épuisés physiquement et nerveusement. Le grand-père paternel nous conseille de donner un steak, de la viande de cheval pour que Sylvain se renforce mais, rien à faire, nous respectons les consignes médicales. En éliminant cependant la visite de l’infirmière et les rendez-vous chez le dermatologue.

Les yeux de notre enfant s’éveillent… L’espoir revient. Sylvain nous sourit. Des cubes l’intéressent, il les découvre en suçant.

On peut enfin mettre cette poudre dans un peu de compote de pommes que Sylvain apprécie… Puis on la mélangera avec une banane et deux demi-abricots… Le pédiatre nous remet une liste de produits pauvres en phénylalanine et les menus seront un peu plus variés… On prend note de tout ce que Sylvain mange. Nous communiquons les menus au pédiatre qui, suivant ses dires, les conserve très précieusement.

Les réactions intellectuelles s’améliorent. Sylvain réagit à son prénom. Il imite le cri des animaux mais ne se déplace pas. Nous lui apprendrons donc… Il doit apprendre à pousser sur ses jambes et maintenir ses pieds au sol… Maman le tient droit, Papa fait remuer les jambes tout en comptant 1,… 2,… 1,… 2,… Enfin, Sylvain reste debout, se tient à tout, ne lâche rien. Un jour, on compte 1, 2, 1 … et Sylvain fait enfin ses premiers pas, seul, vers ses cubes placés au milieu de la cuisine. Sylvain a presque 3 ans.

C’est aussi la recherche continuelle de produits pauvres en phénylalanine. Une banane et deux demi-abricots saupoudrés de Lofenalac est le menu quotidien durant deux ans. Le pédiatre nous renseigne les biscuits “aminex” délivrés en pharmacie. Enfin, voilà de quoi améliorer le menu !

En vacances en France, à Serre-Chevalier, nous risquions de tomber à court de ces biscuits. Nous nous rendons dans une pharmacie qui, évidemment, n’en avait pas en réserve. Nous demandons d’en commander et, le lendemain, le pharmacien, tout heureux de nous satisfaire nous fournit des amilex… non commandés et servant à affiner la ligne de certaines personnes… Il ne connaissait pas ce produit !

L’année suivante, nous avions décidé de passer quelques jours en Alsace. Nous réservons à l’hôtel de France à Cornimont. Le maître d’hôtel, sosie de Lino Ventura, accepte de respecter le régime de Sylvain et chaque soir après dîner, il vient nous proposer le menu particulier… Nous le remercions vivement lors de notre départ.

LE DEVELOPPEMENT DE SYLVAIN

Nous étions donc dans l’ignorance totale quant à cette phénylcétonurie, faisant une confiance aveugle au pédiatre avec qui les relations étaient excellentes.

Entretemps, nous avions eu la peine de perdre des petites jumelles à la naissance et le bonheur d’accueillir un petit frère pour Sylvain, un petit frère qui ne subira pas tous les problèmes que Sylvain a connus mais qui sera très souvent près de lui pour l’aider et l’accompagner dans ses jeux.

Le pédiatre nous conseille d’inscrire Sylvain dans un centre de nourrissons qu’il dirige. On y teste le QI de Sylvain : 76 ! Nettement sous le taux moyen mais on continue à y croire. On y arrivera, coûte que coûte…

A l’âge normal, Sylvain entrera à l’école primaire (CE 1). Il a alors un QI de 101. Le papa, instituteur (professeur des écoles) et la maman sont décidés à l’inscrire dans un enseignement spécialisé si la tâche pour Sylvain est trop pénible. Sylvain, tout au long de sa scolarité primaire, se débrouille très bien malgré quelques difficultés en problèmes. Il termine son école primaire à l’âge normal et obtient son diplôme cantonal.

LES PRODUITS : LE COMBAT

Les préparations des repas coûtent très chères et les médicaments aussi… Il faut, avec le lofenalac, prendre des acides aminés, sans phénylalanine, ce qui revient à 12 500 FB par mois à retirer d’un traitement de 30 000 F (12 500 FB = 315 € et 30 000 FB = 750 €). Le pharmacien comprend le problème. Il met une balance de précision à notre disposition. En achetant les produits en vrac, en réalisant nous-mêmes les gélules, le coût s’élève à 7 500 FB (= 185 €)… Ouf ! Une bouée !

Mais, subitement, le Lofenalac n’est plus disponible en Belgique. Le pharmacien nous renseigne une maison de gros à Aix-la-Chapelle (Allemagne). La boîte coûte 750 FB (19 €) alors que, en Belgique, avec l’intervention de la mutuelle, elle ne coûte que 33 FB (8 €) et il faut 6 boîtes par mois (soit 114 € au lieu de 48 € par mois). Il faut trouver une solution… Pourquoi ne pas se faire passer comme fraudeur et ameuter la presse et le public en y imprimant “je suis obligé de frauder pour soigner mon enfant…”. Les douaniers refusent de rentrer dans le jeu.

Il ne reste qu’une solution : écrire à la plus haute autorité du pays en lui demandant de choisir pour nous : Nous sommes incapables de faire un choix parmi deux possibilités : soit nous rendons une nourriture “normale” à notre enfant et il devient handicapé mental, soit on le prive de toute protéine et il devient anémique… Nous demandons leur soutien pour réintroduire le Lofénalac dans notre pays.

Un mois plus tard, le Lofénalac, produit fabriqué par Mead Johnsson de New York, était réintroduit et disponible en Belgique. Tout cela à cause, paraît-il, de gros sous…

Enfin, une émission de la RTBF donne quelques renseignements sur cette étrange maladie. L’animateur laisse un espoir… A partir de 12 ans, les enfants PCU pourront manger comme tout le monde… Dès le lendemain, nous contactons la RTB afin de connaître le laboratoire où cette émission a été enregistrée : hôpital St Pierre à Bruxelles… Nous nous rendons sur rendez-vous et sommes reçus par le Professeur Vis, spécialiste des maladies métaboliques qui rectifie immédiatement : Il faut continuer le régime car c’est la meilleure solution. Nous ignorons la portée d’un arrêt… ”

Le professeur nous renseigne la boulangerie Dandoy à Bruxelles qui fait du pain pour les phénylcétonuriques. Nous en commandons. Sylvain aime ce pain et chaque semaine des pains sont envoyés, par train, à Liège où nous pouvons les récupérer. (Bruxelles – Lièges : 100 km).

L’AIDE DE L’ASSOCIATION BELGE

Enfin, nous apprenons que, sous l’instigation d’un médecin, le Docteur François spécialisé en maladies métaboliques, une association d’aide aux phénylcétonuriques (ANAP) est créée à Thuin. Nous pouvons, pour la première fois, y rencontrer des enfants et des parents comme nous. Sylvain est un des aînés. Nous qui cherchions des produits pour nourrir correctement notre enfant trouvons une foule de renseignements et de nombreux conseils.

L’action de l’association est des plus efficaces :

  • –  création d’un stock de produits pauvres en phénylalanine que nous allons gérer pourde nombreuses familles et obtenir de modestes réductions de prix,
  • –  action auprès des hommes politiques pour obtenir une aide des pouvoirs publics,
  • –  rencontre d’autres familles pour apprendre à bien préparer les repas.Lors d’une réunion en présence d’un homme politique, la maman de Sylvain demande si l’organisation d’un séjour avec les enfants PCU ne serait pas possible afin de soulager, ne serait- ce qu’une semaine, les parents de chaque enfant. Le Docteur François et l’association lancent alors l’organisation d’un camp pour apprendre aux enfants atteints à calculer leur régime. Bref, un immense soutien pour les enfants mais aussi pour les parents.

L’AUTONOMIE

L’aide, telle que nous avons maintenant en Belgique est réelle à partir de 1995 et les produits diététiques se trouvent en pharmacie. Sylvain a alors 32 ans.

Durant son adolescence, il a pu mener à bien des humanités modernes (équivalent du baccalauréat en France) avec l’option administration et informatique. Il obtiendra deux années consécutives le prix du consulat des Pays-Bas en raison de son excellent résultat en néerlandais. Son retard n’était que de deux ans dont un an perdu en raison de l’application de son régime. Il tentera une année un graduat mais sa résistance physique le trahira. En 1989, Sylvain devient agent des postes après la réussite d’un examen. Il travaille alors deux ans toutes les nuits à Bruxelles et dort le jour. Il emporte ses aliments nécessaires pour la semaine… et parfois, il faut lui apporter ce qui lui manque. Il réussit un examen pour être reconnu comme agent des postes bilingue (français-néerlandais).

Avant 1989, il a travaillé comme employé de bureau dans une administration et dans une librairie. Il suivra également durant deux ans des cours de promotion sociale pour se perfectionner en informatique. Actuellement, il vit seul et est complètement autonome.

CONCLUSION

Pour nous, une certaine amertume demeure… Bien des questions ne trouvent pas de solutions. Comment se fait-il que le dermatologue n’ait pas cherché la cause de l’eczéma ? Pourquoi l’infirmière visiteuse, qui connaissait l’existence de la phénylalanine, qui possédait des tigettes pour faire une analyse d’urine, n’a-t-elle pas réagi quand la maman de Sylvain disait que Sylvain dégageait un parfum anormal ?

En 1963, le teste de Guthrie n’était pas appliqué systématiquement en Belgique. Il ne le sera qu’à partir de 1968. La phénylalanine de Sylvain ne sera découverte qu’en 1965. Quelle perte de temps ! Quels ont été les effets de ce manque de recherche de solutions au mal-être de Sylvain lorsqu’il était petit ? Un manque de communication entre les divers acteurs médicaux peut seul justifier ce retard dans le diagnostic.

Bien souvent, parce que nous ne connaissions aucun autre cas, parce que le corps médical ne nous rassurait pas, nous nous posions une question : de quoi demain sera-t-il fait ? Comment Sylvain se débrouillera-t-il plus tard ? Actuellement, Sylvain peut rassurer de nombreux parents. En respectant son régime, la vie lui sourit. Il peut profiter de nombreux moments heureux.

Nous sommes fiers et heureux de la réussite de Sylvain qui, malgré toutes les difficultés qu’il a rencontrées, est parvenu à se prendre en charge et à vivre en toute autonomie.

La maman et le papa de Sylvain Warsage, Avril 2014